POSEIDON / NEPTUNE

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Neptune, nom latin du dieu Poséidon, est une planète d’un bleu profond qui rappelle la couleur de la Méditerranée, LA mer pour les Grecs de l’Antiquité dont la civilisation a essaimé sur les côtes et sur les îles de cette mer « au milieu des terres », laissant des traces mythologiques aussi bien qu’architecturales.

Poséidon est le dieu de la Méditerranée et, partant, dieu de toutes les mers mais aussi de tous les éléments liquides selon la tripartition décidée par son frère, Zeus. Dans ce domaine, il remplace à la fois le Sage Nérée, la Mer, fils de Pontos et de Gaïa, et l’Illustre Fleuve Okeanos, personnification de l’Eau, fils d’Ouranos et de Gaïa ; Nérée et Okeanos ayant eux-mêmes succédé à Pontos, les Flots. (Vous suivez ?) Ici aussi nous partons d’une énergie primordiale, une entité abstraite, Pontos, pour arriver à un Olympien, un dieu humanisé doté, d’un caractère et d’une conscience.

Statue de Poséidon sur la place Rynok, Lviv, Ukraine

Poséidon est un dieu colérique qui se sert de son Trident, cadeau des Cyclopes, pour frapper la terre autant que la surface et le fond de la mer, provoquant séismes, tempêtes et raz-de-marée, inondations et sècheresses, ce qui lui vaut son nom de « Fracassant Ebranleur des Terres ». Pourtant, si on l’honore de façon satisfaisante, il peut au contraire apaiser les éléments, aplanir la mer, calmer les tempêtes, garantir une traversée sans problème, mais aussi faire jaillir des sources, creuser le lit des fleuves et empêcher les tremblements de terre.

Cela explique que les nombreux sanctuaires consacrés à Poséidon se trouvent aussi bien près des côtes qu’à l’intérieur des terres : marins et pêcheurs le vénèrent et l’implorent pour que la mer leur soit favorable ; mais ce sont aussi les habitants des régions à forte activité sismique ou affectées par la sécheresse qui lui élèvent des temples et des autels. Le dieu de la mer règne sur des forces qui ne sont pas uniquement marines, mais aussi terrestres : il veille sur la stabilité des puissances telluriques.

Bronze de Poséidon trouvé au fond de la mer Egée, au pied du Cap Artemision – Musée national archéologique d’Athènes

Poséidon est un dieu jaloux. Et tout d’abord, il est jaloux de son frère, Zeus, qui s’est octroyé la plus belle part. Mauvais diplomate, il ne sait que s’insurger, se mettre en colère, faire beaucoup de bruit mais toujours en vain. Il conteste l’autorité du puissant Zeus qui, lui, demeure imperturbable, inébranlable, et qui reste ferme dans ses décisions.

En outre, Poséidon entre souvent en compétition avec ses pairs, Athéna, Apollon, Arès ou Hélios, pour l’attribution d’un lieu de culte ou pour l’hégémonie sur une cité. Il ne sort jamais vainqueur de ces confrontations mais, pour calmer sa colère, on lui consacre un sanctuaire secondaire, compensation qui suffit à l’apaiser.

Musée du Bardo, Tunisie

Ainsi, il affronte Athéna quand il s’agit de désigner la divinité protectrice de l’Attique. C’est à cette occasion que Poséidon « invente » le cheval qui deviendra son animal fétiche au même titre que le dauphin. Sur la colline du Parthénon, il frappe le sol de son Trident, faisant surgir un magnifique Etalon. Les hommes, éblouis, élisent Poséidon comme protecteur. Mais Athéna, intelligente et rusée, plante sa lance dans la terre et fait pousser l’Olivier, arbre éternel aux fruits innombrables. Cet arbre séduit les femmes qui choisissent la déesse. Or, les femmes sont plus nombreuses que les hommes !… C’est donc Athéna qui sera la protectrice de l’Attique et de la cité de Cécrops qui, désormais, s’appellera Athènes.

Furieux et dépité, Poséidon envoie la mer submerger l’Attique ! Afin de calmer sa colère et pour qu’il retire l’eau des terres, les Athéniens lui offrent réparation en frappant les femmes d’une « triple déchéance » : à l’avenir, elles ne pourront plus participer aux votes ni à la vie politique ; les enfants ne porteront jamais le nom de leur mère ; elles ne seront pas appelées Athéniennes. La démocratie est mal partie : les femmes en sont exclues ! Alors que la cité primitive de Cécrops était une authentique démocratie, avec une participation égale des femmes et des hommes à la vie publique, la nouvelle cité d’Athènes institue la discrimination entre les genres dont nous percevons certains méfaits encore aujourd’hui. La faute en revient aux Athéniens ? Ou à Poséidon ? Ou à Athéna qui a laissé faire ?

Finalement, la déesse admet son rival au centre de sa cité : elle accepte qu’un sanctuaire lui soit consacré sur l’Acropole, un immense honneur pour Poséidon. Cependant, il devra le partager avec une divinité secondaire, Erechtée, le protégé d’Athéna (son fils ?) qui donnera son nom au temple, l’Erechtéion avec son célèbre portique des Caryatides que l’on peut admirer encore aujourd’hui.

L’Erechtéion – Mark Cartwright

En tant que dieu de la mer en revanche, Poséidon n’a pas de rival. Il règne sans partage sur « la mer blanchissante » comme sur les abysses. Contrairement à Nérée le Sage qui habitait une simple grotte, le dieu à la barbe et à la chevelure abondantes habite un palais d’or au fond de la mer. Il aime se déplacer sur son char tiré par des chevaux « aux couleurs d’algues et d’écume » ou bien par des dauphins qui lui sont dévoués.

Dessin : Patrick Coulon – Cliquer pour agrandir

C’est d’ailleurs un dauphin, Delphinos, qui convainc la Néréide Amphitrite de répondre aux avances de Poséidon. En remerciement, celui-ci le transformera en constellation : le Dauphin accompagne modestement les constellations de l’été, la Lyre, le Cygne et l’Aigle, avec leurs étoiles très brillantes, Véga, Déneb et Altaïr, les trois Belles qui forment le fameux Triangle de l’été.

Un jour, le dieu de la mer aperçoit la belle Amphitrite « aux fines chevilles » sur une plage alors qu’elle joue avec ses sœurs, les filles de Nérée et de Doris (Non, je ne ferai pas la généalogie de Doris, quoique…). Il en tombe éperdument amoureux mais elle s’échappe, ne voulant rien savoir de lui. Elle va se réfugier auprès d’Atlas, aux extrêmes limites de la mer. Mais Delphinos, envoyé par Poséidon, finit par la retrouver. Le doux dauphin la charme par son chant, Amphitrite le caresse, monte sur son dos et les voilà partis : cela ressemble fort à un enlèvement, à l’instar de celui fomenté par Zeus transformé en taureau qui emmène Europe jusqu’en Crète.

Le Mariage de Poséidon et Amphitrite 1802-05 – Felice Giani.

Delphinos amène Amphitrite à Poséidon qui fait son apparition en majesté, monté sur son char lancé à toute allure sur les flots, tiré par des chevaux fougueux, entouré de ses dauphins et d’autres créatures marines. Amphitrite ne peut résister : séduite, elle accepte de devenir son épouse. Ils engendrent, entre autres, « le grand, le farouche Triton » qui demeure avec eux au fond de la mer, gardien du palais d’or. Avec un corps d’homme qui se termine par deux énormes queues de poisson, il souffle dans une conque marine qui mugit puissamment lors des tempêtes. Les marins le vénèrent car, s’il est terrifiant, il est également celui qui calme les tempêtes et sert d’intermédiaire entre les hommes de la mer et Poséidon.

Poséidon aura une multitude d’enfants, des monstres pour la plupart, nés de ses nombreuses unions avec des déesses, des mortelles (pour séduire ces dernières, il prend la forme d’un dauphin, évidemment !) et même avec des monstres comme la gorgone Méduse qui conçoit avec lui le cheval ailé, Pégase, jailli de son corps lorsque Persée lui coupe la tête.

Le triomphe de Persée – Camillo Procaccini

Il s’unit également à la sœur des Gorgones, la nymphe marine Thoôsa. Celle-ci donne naissance au cyclope Polyphème qui créera bien des ennuis à Ulysse : lorsque le héros de l’Odyssée et ses compagnons abordent en Sicile, au pied de l’Etna où le cyclope fait paître ses moutons, celui-ci les enferme dans une grotte et, deux fois par jour, il dévore deux des compagnons d’Ulysse qui, finalement, réussit à lui crever son œil unique (je vous passe les détails sanglants) et, avec ses compagnons restants, il s’échappe en s’accrochant sous le ventre des moutons. Pour venger son fils, Poséidon va multiplier les embûches (vents contraires et tempêtes, mais aussi la séduction des Sirènes, de Circée ou de Calypso…)  afin d’empêcher le retour d’Ulysse dans son île d’Ithaque.

Ulysse et les Sirènes – Marc Chagall

Poséidon, le puissant dieu de la Mer, le terrible Ebranleur des terres est le père d’un grand nombre de monstres : Triton, Pégase, Polyphème, Charybde, Chrysaor… Ces êtres monstrueux, violents, malfaisants, incarnent la résurgence toujours possible des forces du Chaos, de ces puissances de destruction contre lesquelles Zeus et les Olympiens ont dû lutter pour instaurer le Cosmos harmonieux. Et contre lesquelles la lutte n’est jamais terminée.

Ce qui, en revanche, est bel et bien terminé, ce sont mes récits tout au long desquels j’ai essayé de montrer la sagesse et les enseignements de la mythologie grecque, ainsi que le rapport entre les dieux créés par les hommes et les planètes de notre système solaire. C’était le clin d’œil à Gaby 😉 (NDLR: ancien président de l’ASAT)

Et maintenant, voyons la planète Neptune, la 8e et dernière de notre système solaire.

Nasa

Si Uranus est la 1ère planète découverte depuis l’Antiquité, et surtout la 1ère grâce à un télescope, Neptune quant à elle est la 1ère planète découverte par le calcul et non par l’observation !

En chiffres :

  • Distance au Soleil : 4,51 milliards de km, soit 30 fois plus loin que la Terre (30 UA)
  • Diamètre : 49 528 km soit 3,9 fois celui de la Terre
  • Vitesse orbitale : 5,43 km/s, contre 30 km/s pour la Terre
  • Révolution sidérale : 164 ans et 281 jours
  • Vitesse de rotation : 2,7 km/s ou 9 660 km/h
  • Rotation sidérale : 16h07min
  • Température au « sol » : -200°C. Jusqu’à -230°C dans les couches supérieures de nuages
  • Lunes : 16 connues à ce jour, dont les plus importantes sont Triton, Néréide, Proteus, Larissa, Naïade, Thalassa, Galatée
  • Anneaux : 5 identifiés à ce jour

Les calculs de la mécanique céleste permettent de prédire avec précision le mouvement des corps célestes. Mais si ces prédictions ne correspondent pas aux observations, on se trouve face à trois hypothèses : soit les calculs sont entachés d’erreur ou d’inexactitudes et on les vérifie ; soit les observations sont incorrectes et on les recommence ; soit il manque peut-être un corps céleste dans le modèle de calcul. Et là, cela devient intéressant !

Après la découverte d’Uranus par William Herschel en 1781, les astronomes se rendent compte qu’en réalité cet astre avait déjà été observé depuis 1690 (et même noté par Galilée en 1612), sans imaginer que c’était une planète : son déplacement dans le ciel étant infime, ils pensaient que c’était une étoile. Ainsi, en 1821, l’astronome Alexis Bouvard dispose de 130 ans d’observations comme base de données et il constate des écarts importants entre les prédictions, selon les lois de Kepler et de Newton, et les observations. Il se pose la bonne question en termes prudents : cette différence est-elle due à « quelque action étrangère et inaperçue » ? L’hypothèse d’une 8e planète se dessine…

Alexis Bouvard (1767 – 1843)

En 1844, un Anglais, John Couch Adams, et un Français, Urbain Jean Joseph Le Verrier, vont entreprendre des calculs complexes et très longs (ils n’avaient pas d’ordinateur !), en parallèle et de façon indépendante, ignorant totalement (ils n’avaient pas internet !) les travaux de l’autre. Au bout de deux ans, ils parviennent à déterminer la position de l’hypothétique planète. Mais les calculs d’Adams sont trop imprécis et la recherche de la planète à l’université de Cambridge échoue.

Urbain Le Verrier (1811-1877)

De son côté, Urbain Le Verrier présente les résultats de ses travaux à l’Académie des Sciences le 31 août 1846 et il écrit aussitôt à un collègue de l’observatoire de Berlin pour lui demander de chercher cette planète sur la base de ses calculs. Dans la nuit du 23 au 24 septembre 1846, Johann Gottfried Galle découvre celle qu’on appellera Neptune à la position calculée par Le Verrier (à seulement 1° d’arc près).

La communauté internationale reconnaît officiellement Urbain Le Verrier comme étant le découvreur de Neptune. Le mérite lui en revient, c’est incontestable. Certes, son succès repose aussi sur les observations et les calculs d’Alexis Bouvard, ainsi que sur la découverte et l’observation au télescope de J. G. Galle, mais Le Verrier reste dans l’Histoire celui qui « vit le nouvel astre au bout de sa plume ». (F. Arago)

Si elle n’est pas la sœur jumelle d’Uranus, Neptune lui est très semblable, tant par sa taille que par sa composition ou par le peu de connaissances que nous en avons. Elle n’a pas reçu plus de visites que sa sœur : seul Voyager 2 a survolé son pôle nord à 5 550 km d’altitude le 24 août 1989. D’ailleurs, lorsque elle a été lancée en 1977, il était prévu que cette sonde survole les deux géantes gazeuses, Jupiter et Saturne, mais une visite aux deux géantes glacées n’était, au départ, pas au programme. Pour que Voyager 2 puisse survoler les 4 planètes géantes, il fallait qu’elles soient toutes dans la même direction, ce qui n’arrive que tous les 176 ans ! Il fallait donc impérativement que son lancement ait lieu entre 1977 et 1979. La mission des deux sondes Voyager fut un succès total.

Rien n’est prévu pour une étude plus approfondie de Neptune dans quelque programme que ce soit. Même le projet à l’étude UOP ne concerne qu’Uranus. La dernière (pour l’instant) planète du système solaire gardera encore longtemps inexpliqués ses phénomènes étranges et ses mystères.

Il faut dire que la distance pharamineuse de 4,5 milliards de km a de quoi rebuter les chercheurs. Nettement plus éloignée qu’Uranus (2,8 milliards de km), elle reçoit 2,5 fois moins d’énergie qu’elle, 1 000 fois moins que la Terre ! Les rayons solaires mettent 4h20 pour lui parvenir… On comprend qu’il fasse très froid sur cette planète au climat extrême : jusqu’à -230°C dans les plus hautes couches de son atmosphère.

Source : Numerama

Avec un albédo de seulement 0,35, son éloignement lui confère une magnitude apparente de 8, ce qui la rend totalement invisible à l’œil nu : elle est 4 fois moins brillante qu’une étoile de magnitude 6 que seuls perçoivent les yeux expérimentés des astronomes habitués à observer le ciel ! Mais son éloignement du Soleil est également  la cause (toujours la 3e loi de Kepler) de sa petite vitesse de croisière (5,4 km/s) et de sa lente révolution (presque 165 ans).  En conséquence, le déplacement apparent annuel de Neptune dans notre ciel est de seulement 2,2°. Il faut donc à peine plus de douze mois  (12 mois et 2 jours) à la Terre pour la rattraper : nous avons l’impression de la retrouver toujours à la même place d’année en année. Ainsi, c’est seulement le 12 juillet 2011 que Neptune a bouclé sa première orbite depuis sa découverte le 23 septembre 1846 !

La constitution de Neptune est la copie de celle d’Uranus, avec une simple différence de proportions : sa densité est plus élevée (1,64 contre 1,27) en raison d’une masse plus élevée pour un diamètre moindre. Il est possible que cette différence soit due à un noyau (roche et métal) plus important et une couche atmosphérique moins épaisse. Neptune possède, elle aussi, un manteau constitué de « glaces », mélange d’eau, de méthane et d’ammoniac glacés.

Nasa

Concernant les 4 planètes géantes, un phénomène intrigue les scientifiques : trois d’entre elles (Jupiter, Saturne et Neptune) possèdent une source d’énergie interne et produisent plus de chaleur qu’elles n’en reçoivent. Pour l’expliquer, les chercheurs en sont au stade des hypothèses : lente contraction gravitationnelle ? Mouvements du manteau ? Mais alors, pourquoi Uranus n’émet-elle pas de chaleur comme les trois autres ?

L’atmosphère de Neptune, comme celle de sa voisine, est composée majoritairement d’hydrogène (85 %), d’hélium (13 %) et de méthane (2 %). Nous savons que c’est cette faible quantité de méthane qui donne sa couleur d’un bleu profond à la planète. Mais… je vais vous décevoir : ce bleu intense n’est pas fidèle à la réalité ! A l’origine de cette fausse information reproduite par tous les médias, il y a les photos d’Uranus et de Neptune prises par Voyager 2. Sur celle de Neptune, les contrastes ont été poussés (Photoshop ?!?) jusqu’à donner ce bleu marine. Cette « erreur » a été rectifiée par une équipe de chercheurs d’Oxford et les vraies couleurs des deux géantes glacées ont été restituées : si la couleur d’Uranus est assez fidèle, Neptune, quoique plus bleue que sa sœur, apparaît plus claire que dans sa représentation habituelle. La différence entre les deux planètes semble due à la couche de brume qui les enveloppe : plus épaisse autour d’Uranus, elle blanchit sa couleur ; plus fine et sans doute chargée d’aérosols différents autour de Neptune, elle permet à la couleur bleue de prédominer davantage.

Un seul regard sur Neptune suffit pour constater à quel point son atmosphère est turbulente : de longs nuages brillants qui changent ou disparaissent en quelques heures, composés de méthane gelé (-230°C) et d’un peu de glace d’eau ; des vents ultra rapides avec des pointes à 2 000 km/h (Gare aux voiles latines !), les plus rapides jamais mesurés dans notre système solaire. Lors de son survol, Voyager 2 a découvert une tache baptisée la « Grande Tache sombre » par analogie avec la GTR de Jupiter. Il s’agit d’une zone de haute pression qui crée un trou dans la couverture nuageuse visible. Mais, contrairement à la GTR, elle était éphémère et a vite été remplacée ou accompagnée par d’autres ouragans comme le « Scooter » qui se déplaçait bien plus vite que la GTS, effectuant le tour de Neptune en 16 heures (contre 18h30 pour la GTS) ; ou, encore plus rapide, la petite tache sombre avec un cœur brillant…

Les vitesses de rotation différenciées constituent d’ailleurs un autre mystère non résolu : sur Jupiter et sur Saturne, tout comme sur le Soleil, la vitesse de rotation en surface est plus élevée à l’équateur qu’aux pôles. Sur les planètes glacées, c’est le contraire : leur atmosphère tourne plus vite aux pôles qu’à l’équateur. Sur Neptune, la différence est extrême  : la rotation s’effectue en 19 heures à l’équateur et en seulement 12 heures aux pôles ! Phénomène intrigant et, jusqu’à présent, sans explication. One more time.

On continue encore aujourd’hui de découvrir de nouvelles lunes autour de Neptune : les deux dernières datent de 2022, portant à 16 le nombre de satellites orbitant à des distances très différentes. La plupart de ces satellites sont des corps de petite taille, seul Triton a un diamètre conséquent (2 700 km) et présente de curieuses caractéristiques : il parcourt son orbite de manière rétrograde, c’est-à-dire dans le sens horaire. Il est le seul objet du système solaire à tourner dans le sens inverse de la rotation de sa planète.

Triton – Image par Voyager 2

Il faut à Triton près de 6 jours pour accomplir aussi bien sa rotation autour de son axe que le tour de sa planète. Du fait de cette rotation synchrone et de son inclinaison de 20° par rapport à l’équateur de Neptune, Triton a des saisons très marquées, ses pôles étant orientés tour à tour vers le Soleil. De plus, un albédo très élevé de 0,8 réfléchit la quasi totalité de la lumière (et de la chaleur). Pour toutes ces raisons, sa température de surface est la plus basse jamais enregistrée à la surface d’un corps du système solaire : -238°C ! C’est ce froid qui lui permet de retenir une atmosphère très ténue d’azote (99 %) et de méthane (1 %).

Sa surface, très peu cratérisée mais chaotique, est principalement composée de glace d’azote. Or, les photos prises par Voyager 2 du pôle sud (alors tourné vers le Soleil depuis plus de 30 ans) montrent d’étonnants geysers d’azote liquide et de poussières de roches qui envoient leurs panaches jusqu’à 8 km de haut (l’Everest !) et retombent sur la surface de Triton qu’ils régénèrent en glace d’azote. Comme sur Europe, le satellite de Jupiter, ces geysers proviennent du cryovolcanisme provoqué par le réchauffement saisonnier côté soleil : quoique faible, cette chaleur suffit à vaporiser l’azote gelée. Tout est surprenant pour une lune si éloignée du Soleil.

Les anneaux de Neptune eux aussi ont été découverts par la méthode de l’occultation stellaire. Mais pendant longtemps, toutes les tentatives de détection se soldant par un échec, les scientifiques affirmaient que Neptune n’avait pas d’anneaux. André Brahic, astrophysicien français décédé en 2016, estime en revanche que « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence » et il s’entête. Finalement, à deux reprises, le 22 juillet 1984 et le 15 août 1985, avec son équipe il observe une interruption de signal juste avant le passage de Neptune devant une étoile mais cette interruption est détectée d’un seul côté de la planète : l’anneau serait-il incomplet ? Oui ! C’est la découverte des arcs de Neptune.

Anneaux de Neptune (les petits points blancs sont les lunes) – James Webb

En 1989, Voyager 2 confirme qu’il s’agit de portions plus épaisses d’un anneau continu, indétectable depuis la Terre. André Brahic étant à l’origine de la découverte, il lui appartient de baptiser ces arcs. Comme en 1989 on fêtait le bicentenaire de la Révolution française, il choisit les noms de Liberté, Egalité et Fraternité, auxquels s’ajoute peu après un nouvel arc, Courage (CLEF !). L’anneau contenant ces arcs prendra le nom d’Adams. D’autres anneaux seront découverts, tout aussi fins et sombres qui seront baptisés du nom des chercheurs ayant contribué à la découverte de Neptune : Galle (le plus proche de la planète, à 42 000 km), Le Verrier, Lassell, Arago, Adams étant le plus éloigné (70 000 à 75 000 km).

Mais pourquoi des anneaux autour des planètes géantes ? Ici, force de marée et force gravitationnelle entrent en jeu et il faut parler de la « limite de Roche ». En 1849, Édouard Albert Roche, mathématicien et astronome, montre que si un satellite se rapproche en deçà d’une certaine limite (2,5 fois environ le rayon de la planète, à partir du centre de celle-ci, mais de nombreux paramètres entrent en ligne de compte : masses, degré de cohésion…), il sera brisé en morceaux à cause de la force de marée : le point du satellite le plus proche de la planète est plus attiré que le point le plus éloigné, la force d’attraction dépendant de la distance. Cette force différentielle peut briser le satellite s’il est trop proche de la planète, de même qu’elle empêche des cailloux ou des rochers de se rassembler pour former un satellite. Les satellites artificiels ne risquent rien : ils sont tenus non pas par la force de cohésion mais par des boulons ! Ensuite, ce sont les collisions entre les blocs qui aplatissent les particules en un disque mince dans le plan équatorial de la planète. CQFD !

C’est la fin de ce marathon à travers le système solaire, de ce saute-mouton d’une planète à l’autre. J’ai voulu, non pas vous apprendre quoi que ce soit ni vous présenter une étude exhaustive (il existe d’excellents livres et d’excellents auteurs), mais plutôt exciter votre curiosité en vous présentant des étrangetés parfois explicables par des lois, parfois encore inexpliquées. Bien des mystères demeurent et c’est tant mieux.

Marie-Hélène