SATURNE / CRONOS

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« Le Seigneur des Anneaux » ! La sixième et la plus belle des planètes de notre système solaire, mais surtout la plus reconnaissable : si un enfant dessine une planète, c’est Saturne qu’il représente. Sa couleur jaune pâle et ses anneaux largement étendus et finement rayés, tel un microsillon, lui confèrent une grande élégance.

Si la planète aux anneaux est la plus belle du système solaire, le dieu qui lui a donné son nom est loin d’en être digne. « Le grand Cronos aux pensées retorses », c’est ainsi qu’Hésiode le nomme. C’est tout dire de ce dieu peu recommandable qui émascule son père et mange ses enfants !

Giorgio Vasari – 16ème siècle

Il faut d’abord savoir que le règne du Titan Cronos, le dieu fourbe, a commencé lorsqu’il a détrôné son père Ouranos dans un acte d’une violence inouïe. Certes, les dieux de la deuxième génération, conçus par Gaïa et Ouranos, sont les premiers à être des divinités bien caractérisées, des dieux et déesses représentés sous une forme entièrement ou partiellement  humaine, et non plus des entités abstraites. Cependant, ces dieux sont encore proches du Chaos, donc du désordre, de l’obscurité et de la force aveugle. C’est ce qui explique la violence des Titans et l’aspect monstrueux des Cyclopes et des Hécatonchires, descendants de Gaïa et Ouranos, tous frères et sœurs de Cronos.

 Du moins l’émasculation de son père par Cronos a-t-elle des effets positifs sur la naissance et l’évolution du monde car, sous l’effet de la douleur, Ouranos s’éloigne enfin de Gaïa son épouse qu’il couvrait entièrement, à laquelle il restait collé, empêchant par là même ses enfants de voir le jour. Le Ciel se sépare de la Terre, créant un espace où pourront naître, croître et s’épanouir les différents éléments du Cosmos.

Ainsi, Cronos permet la venue au monde de ses cinq frères, les Titans, et de ses six sœurs, les Titanides. Mais il se garde bien de libérer ses autres frères, les Cyclopes et les Hécatonchires. Connaissant leur puissance et leur violence, il préfère les laisser là où leur père les a fait enchaîner, dans l’obscurité du Tartare au fin fond des Enfers. Ces divinités monstrueuses vouent évidemment une haine inextinguible à Cronos et sont donc trop heureux de pouvoir se venger  en combattant aux côtés de Zeus qui, lui, les a libérés.

La bataille entre les Dieux et les Titans – Joachim Wtewael

D’ailleurs, lors de cette guerre des dieux, Titans et Titanides seront incertains quant à choisir leur parti : les uns se rangeront aux côtés de leur frère, Cronos, tandis que les autres prendront le parti de leur neveu, Zeus, qui leur a promis comme récompense qu’ils auraient leur juste part de fonctions, de régions et d’honneurs. Et nous savons que le roi des dieux tiendra parole.

Dessin : Patrick Coulon – Cliquer pour agrandir

Mais pourquoi donc Cronos avale-t-il ses enfants nouveaux-nés ? Par peur ! Sa mère, Gaïa, lui a prédit qu’il serait à son tour détrôné par l’un de ses fils, comme il avait lui-même détrôné son père. Évidemment il y a de quoi être effrayé : il sait exactement comment  cela pourrait se passer. Pour éliminer tout risque, il engloutit ses enfants dès qu’ils viennent au monde, dès qu’ils « atteignent les genoux de leur mère », nous dit Hésiode. Les garder dans son ventre lui paraît plus sûr que de les laisser dans les entrailles de leur mère comme l’avait fait son père, Ouranos, il est bien placé pour le savoir !

 Donc, par crainte de perdre son pouvoir et son trône, il les avale tout rond, sans mordre dans leurs chairs, sans les croquer, contrairement aux représentations horribles et sanguinolentes qu’en ont faites Rubens au 17e et Goya au 19e siècle. Il les ingurgite entiers, comme le prouve le fait que, contraint par Zeus, il les recrachera en parfait état. Un véritable papa hippocampe !

Mais nous savons que ce n’était pas un stratagème très intelligent et que, la sixième fois, sa ruse n’a pas marché : Rhéa lui a donné une pierre enveloppée de langes à la place du petit Zeus et Cronos l’a avalée sans s’apercevoir du subterfuge ! Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il avait un estomac solide et que ce n’était certes pas un fin gourmet ! La prédiction de Gaïa s’est réalisée : on n’échappe pas à son destin.  Zeus oblige Cronos à vomir ses cinq premiers enfants qui deviendront les dieux olympiens, ainsi que la fameuse pierre que Zeus déposera sur les flancs du mont Parnasse (non, pas à Paris !) à Delphes, comme emblème de sa souveraineté.

Cronos et Zeus se battent dans une lutte sans merci. C’est la longue guerre des dieux durant laquelle les combats sont si violents, si destructeurs que le Cosmos naissant est près de disparaître. Ce serait le retour au Chaos initial. Heureusement, c’est Zeus qui est vainqueur, c’est la lumière, l’ordre et l’harmonie qui l’emportent sur l’obscurité et la violence. Tandis que Cronos est relégué au plus profond des enfers, les nouveaux dieux s’installent sur le mont Olympe pour parfaire le Cosmos et peupler la Terre.

En chiffres :

  • Distance moyenne au Soleil : 1 430 000 000 km, soit 9,5 Unités Astronomiques
  • Diamètre équatorial : 120 536 km, soit 9,5 fois celui de la Terre
  • Vitesse orbitale : 9,64 km/s
  • Révolution : 29 ans 167 jours
  • Rotation équatoriale : 10h39 à la vitesse de 34 800 km/h, soit 9,7 km/s (Jupiter : 12 km/s)
  • Champ magnétique : 578 fois celui de la Terre
  • Densité : 0,69, donc inférieure à celle de l’eau (1). Saturne flotterait donc sur l’eau !
  • Lunes : 83 découvertes à ce jour
  • Anneaux : 7 principaux, formés de glace et de poussière, tous de taille et de densité variables

A 1,4 milliard de kilomètres, Saturne est deux fois plus éloignée du Soleil que Jupiter. Sa révolution (presque 30 ans) est donc plus lente puisque son orbite est plus longue et que, selon la 3e Loi de Kepler, plus on s’éloigne de l’astre « attracteur », donc du Soleil, plus la vitesse diminue. En comparaison avec Jupiter, Saturne a plus de chemin à parcourir à une vitesse moindre.

Dans le ciel, Saturne apparaît comme une étoile brillante, même si son éclat ne peut rivaliser avec Jupiter ou Vénus malgré un albédo de 0,76 : son éloignement est trop important. Au télescope, sa « surface » jaune pâle présente des bandes discrètes, sans les volutes spectaculaires de Jupiter, parallèles à l’équateur. Son atmosphère nous apparaît plus calme, surtout du fait d’une légère brume qui enveloppe la planète.

Pourtant, dans la région de l’équateur, des vents violents dus à la vitesse de rotation ont été mesurés à 1 800 km/h ! Des tempêtes s’élèvent, visibles sous la forme de nuages blancs tournoyants, pouvant englober tout un hémisphère et produisant des décharges électriques très puissantes. Aux pôles, l’atmosphère s’enroule en spirale et donne naissance à des ouragans. Au pôle nord, un gigantesque vortex de 25 000 km de large présente une forme remarquable : celle d’un hexagone régulier ! En son centre, l’œil du cyclone mesure 2 000 km de large… Deux fois la surface de la France.

 L’atmosphère de Saturne est semblable à celle de Jupiter et des autres planètes gazeuses, i.e. composée essentiellement d’hydrogène et d’hélium. Cependant, dans les couches supérieures, la proportion d’hydrogène est beaucoup plus importante : jusqu’à 92%. Cela est dû aux températures extrêmement basses qui dissocient lentement le mélange hydrogène-hélium. L’hélium a alors tendance à former des gouttelettes plus denses qui tombent vers les couches plus profondes. L’atmosphère de Saturne contient aussi des quantités infimes d’autres éléments : si on l’observe en infrarouge, des bandes colorées apparaissent, trahissant la présence d’azote, de méthane, d’eau et d’autres gaz à l’état de traces.

La constitution interne de Saturne est semblable à celle de Jupiter, avec une atmosphère très épaisse où, sous l’effet de la pression, l’hydrogène moléculaire devient graduellement liquide puis se transforme en hydrogène métallique, et un noyau hétérogène. Son puissant champ magnétique qui capte les flux de particules en provenance de son satellite Encelade, permet la formation d’aurores polaires visibles dans l’ultraviolet.

Saturne et Encelade – NASA

La vitesse de rotation de Saturne, sa constitution fluide et sa faible densité ont provoqué un aplatissement important des pôles (10% environ contre 0,3% pour la Terre), le plus important du système solaire, ainsi qu’un renflement au niveau de l’équateur. Cette déformation de la planète est si forte qu’elle est visible dans un télescope d’amateur. Mais bien sûr, la caractéristique la plus remarquable et la plus connue de la « planète aux anneaux », ce sont…. ses anneaux !

En 1610, Galilée (encore lui !) croit voir de part et d’autre de Saturne deux objets. En 1655, Christiaan Huygens émet l’hypothèse selon laquelle il s’agit d’anneaux, ce qui sera confirmé quelques années plus tard. Et en 1675 Jean-Dominique Cassini note que les anneaux sont séparés par une ligne sombre que l’on baptisera Division de Cassini  en son honneur. On comprendra beaucoup plus tard que cette zone sombre de 4 700 km de large est « nettoyée » par l’influence gravitationnelle du petit satellite Mimas. Les instruments devenant plus performants, une autre division, beaucoup plus fine (325 km de large), a été observée, que seuls de très bons yeux peuvent distinguer dans un télescope d’amateur, la Division de Encke.

Notre angle de vue sur les anneaux change à mesure que Saturne parcourt son orbite : selon un cycle de 30 ans qui correspond à une révolution autour du Soleil, ils s’inclinent de plus en plus, atteignent un maximum d’ouverture, puis se referment jusqu’à disparaître avant de s’ouvrir dans l’autre sens et se refermer… Donc, tous les 15 ans, Saturne semble perdre ses anneaux. C’est ce qui se produira en mars prochain : le 23 mars 2025 la Terre passera du nord au sud du plan des anneaux.

Les anneaux de Saturne forment le plus grand et le plus complexe des systèmes annulaires entourant l’équateur d’une planète. Même si l’on distingue 7 anneaux principaux désignés par les lettres de l’alphabet selon l’ordre de leur découverte (D C B A F G E), il s’agit en réalité d’une centaine de milliers d’anneaux très fins, allant du blanc éclatant au gris. Leur albédo très élevé (0,6) est dû à leur composition : des particules de glace et de poussière dont la taille varie du grain de sable au bloc de plusieurs mètres.

La cohésion du système est assurée par les nombreux petits satellites circulant à l’intérieur, que l’on a baptisés « satellites bergers » ou « chiens de garde ». Ainsi, l’anneau F, très étroit, est pris entre l’orbite de Prométhée à l’intérieur, et celle de Pandore à l’extérieur. Les deux lunes jouent le rôle de « bergers gravitationnels », empêchant les particules de l’anneau F de s’échapper : Prométhée, plus rapide (cf la 3e Loi de Kepler), confère de l’énergie aux particules de l’anneau, énergie que Pandore, plus lent, leur soutire, assurant ainsi la stabilité de l’anneau.

NASA

Saturne possède également, comme Jupiter, des satellites qui intéressent particulièrement les chercheurs. Titan d’abord, 5 150 km de diamètre, presque aussi gros que Ganymède, plus gros que la planète Mercure, se distingue par son atmosphère très dense (seule lune dans le système solaire à en posséder une) de 1 500 km d’épaisseur, et par sa surface partiellement liquide : on y observe des rivières, des lacs, des mers.  Il ne s’agit pas d’eau, évidemment, mais d’hydrocarbures, principalement de méthane.

Titan – NASA

A la température de -170°C qui règne sur la surface de Titan, le méthane se présente sous forme liquide. Mais les rayons solaires le vaporisent peu à peu et, à -164°C, il s’élève en altitude sous forme gazeuse. Il atteint une zone plus froide où il se condense en nuages de gouttelettes. La faible gravité permet la formation de grosses gouttes de méthane et d’éthane qui tombent lentement : il pleut sur Titan !

Encelade quant à elle, est une petite lune d’environ 500 km de diamètre dans l’anneau E très éloigné de Saturne, très étendu mais extrêmement ténu. Sa surface, avec un albédo de 0,9, est la plus réfléchissante de tout le système solaire. C’est William Herschel (toujours les mêmes !) qui l’a découverte en 1789. A l’instar d’Europe, Encelade est un satellite glacé composé d’un océan subglaciaire surmonté d’une couche de glace d’une épaisseur variant de une à plusieurs dizaines de km. D’un blanc immaculé, sa surface est constellée de cratères d’impacts dans son hémisphère nord et veinée de crevasses bleutées, de failles et de fossés au sud.

Encelade – Sonde Cassini – NASA

Ce blanc bleuté, c’est de la glace d’eau propre : le long de ces crevasses parallèles autour du pôle sud, jaillissent à des altitudes de centaines de kilomètres de grands geysers d’eau qui renouvellent la surface d’Encelade et alimentent en glace l’anneau E. Dans les particules de glace microscopiques de cet anneau, on a détecté des sels, prouvant que ces grains proviennent bien de l’océan sous-glaciaire via les geysers ; on y a détecté également de l’hydrogène moléculaire, de l’ammoniac et du dioxyde de carbone, ainsi que des particules de silice dont l’origine serait l’interaction entre l’eau et le socle rocheux d’Encelade. Ce qui constituerait une preuve de la présence de sources thermales au fond de l’océan sous-glaciaire du petit satellite de Saturne.

Si les amateurs de science-fiction se plaisent à imaginer que Titan se transformera en station service pour fusées interplanétaires ou intergalactiques, en revanche les exobiologistes recherchent sérieusement les traces d’une vie, quelles qu’en soient l’origine et la forme, dans les océans des lunes glacées de Jupiter et de Saturne. Attendons !…