Une fusée soviétique N-1 pour concurrencer la Saturn V ?
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Cet article est une sorte de transition avec le dernier écrit sur le périple de la sonde Zond 5 que tous les adhérents de l’ASAT et les autres visiteurs du site internet ont appris par cœur ! Si la célèbre fusée Saturn V (« LA » fusée qui restera historique pour les faits que vous connaissez forcément !) trône fièrement dans la vitrine des locaux de l’ASAT, elle a été rejointe depuis peu par une maquette de la fusée soviétique N-1.
Sans le phénomène de guerre froide, issu de la capitulation de l’Allemagne Hitlérienne mettant un terme à la seconde guerre mondiale, et allant également jusqu’au démantèlement du mur de Berlin en 1989, qui engendrera la chute des régimes communistes des pays de l’Europe de l’Est, l’histoire aurait-t-elle tournée de la même manière ?
En tout cas, la pression Soviétique de la fin des années 50 avec Spoutnik, jusqu’au début des années 60 (et même après) avec Youri Gagarine dans l’espace en 1961, incitera les Etats-Unis dans leur quête à redevenir leader en matière d’exploration spatiale habitée !
Malgré tout, la volonté du poids lourd de l’Est à vouloir faire marcher un homme sur la lune était bien réelle ; elle voulait même devancer le USA dans ce grand défi !
Sergueï Korolev
Il s’en est passé des choses depuis qu’un certain Sergueï Korolev eut été placé à la tête d’un des bureaux d’études du NII-88 (institut de recherche scientifique n°88) où il développera une copie améliorée du missile V2 allemand, le R-1.
Viendront ensuite les… R2-D2 ! Non, c’est pas vrai ! On n’est pas dans Star Wars, on voulait juste voir votre réaction avec une telle annonce !!!
Plus sérieusement, viendront les R-2, R-3, R-5 : les fusées de la série « R » désignant les missiles balistiques soviétiques.
Le R-7 Semiorka surnommé « petite septième » passe un cran. En effet, les modèles d’auparavant comportaient des rayons d’actions jusque là limités à un peu plus de 1000 km. Mais avec ce dernier modèle R-7 donc, le premier missile balistique intercontinental muni d’une charge nucléaire peut maintenant franchir la barre des 5000 km et pouvant presque bientôt atteindre ces enf…. d’américains (NDR : pour reprendre la pensée soviétique de l’époque) ! Une première soviétique……………militaire !!!! Nous sommes en 1953 !
Après un échec au lancement (explosion d’un moteur au bout de 100 secondes de vol) et des essais réussis relatifs, Korolev sait « vendre » aux militaires et aux politiques ce fameux missile balistique intercontinental auquel il y voit un tout autre intérêt……. spatial bien sûr, comme son homologue américain Von Braun !
« Forte charge utile et longue portée » pour les militaires, et « propagande de la réussite technique soviétique face aux Etats-Unis » pour les politiques.
1953, c’est aussi le décès de Staline et, de ce fait, de profonds changements dans l’organisation du programme spatial soviétique vont être actés. Nikita Kroutchev arrive au pouvoir.
Bref, Spoutnik I fait « bip bip » le 4 Octobre 1957, envoyé par une R-7 Semiorka qui se dirige vers l’espace plutôt qu’en direction de gens à terre pour les éliminer !
Bingo, c’est parti pour une des plus grandes premières de l’histoire de l’astronautique !
Pour la conception de ce type de missile, Korolev n’est pas seul. Il doit composer avec les talentueux Vassili Michine, Mikhail Yanguel, Vladimir Tchelomeï ou encore un très grand responsable de concepteur de moteurs-fusée, Valentin Glouchko, avec qui il éprouve de profonds désaccords.
Korolev est consacré avec la réussite de Spoutnik, la réussite de Youri Gagarine et des premiers succès des sondes Luna. Nous allons vite, car il y a une mine d’informations à ce sujet, et pour tout décrire, il faudrait écrire un livre, voire un collection complète de volumes tous plus grands les uns que les autres !
Korolev doit, fort de ses dernières réussites, convaincre ses donneurs d’ordre à y voir un intérêt géostratégique au spatial plutôt que de continuer à confectionner des lanceurs militaires.
Il n’existait pas, à l’époque, de véritable structure pilotant un programme spatial chez les soviétiques. Il doit imposer ses projets à des concurrents très sérieux comme Vladimir Tchelomeï ou Mikhail Yanguel.
Vladimir Tchelomeï
En 1959, Vladimir Tchelomeï est nommé constructeur en chef d’équipements aéronautiques.
Après son UR-100 (missile balistique intercontinental de seconde génération), il crée l’UR-500 aidé de Valentin Glouchko, très grand spécialiste russe des moteurs de fusées. L’UR-500 sera équipé avec des moteurs RD-270 (100 mégatonnes de tête nucléaire pour une distance de 12000 km) qui deviendra PROTON, le lanceur des composants des stations spatiales Saliout, Mir et le lanceur du programme des sondes spatiales russes, et même le lanceur des modules russes d’ISS. Ouf, hulahup, barbatruc, fin du UR-500 militaire et bienvenue l’UR-500 à vocation spatiale PROTON.
Autre atout de taille qui ne joue pas en faveur de Korolev, Mr Tchelomeï compte parmi ses effectifs le fils de Nikita Kroutchev, Sergueï Kroutchev.
Mikhail Yanguel
Le 12 Avril 1950, Mikhail Yanguel est le chef du système de guidage au sein du NII-88 (on en a déjà parlé plus haut) dirigé par Korolev.
Il va concevoir des missiles balistiques intercontinentaux R-12 et R-14 qui vont se traduire par l’avènement des lanceurs COSMOS, puis les R-16, R-36 et plus tard, malgré son décès entre temps sortiront ses lanceurs Zenit et Energia.
Bon, Yanguel est un fédérateur au caractère bien trempé et répond à un appel d’offre en 1961, émis par des décisionnaires militaro-spatiaux (Tiens, Kennedy dit un truc là un peu plus loin sur la planète à ce moment-là, non !!!), portant sur un lanceur universel. Mikhail Yanguel propose le missile balistique R-46 et le lanceur R-56 (un peu comme le Superheavy et le Starship de Musk en ce moment).
Mais c’est Tchelomeï, avec son missile UR-500, qui est retenu (la présence dans ses rangs du fils du président d’alors ne serait-elle pas étrangère à la décision ?!) et la N-1 de Korolev comme lanceur lourd.
Mikhail ne renonce pas pour autant et continue à monter son projet de lanceur R-56.
Yanguel comprend qu’une organisation doit se préciser et se concrétiser, et qu’un seul bureau ne peut prendre en charge toute la somme de travail nécessaire à la finalisation d’un tel projet spatial lunaire.
Nous sommes en 1965 (Kroutchev vient de laisser le pouvoir à Leonid Brejnev en 1964), Mikhail Yanguel considère que la lutte qui oppose Korolev à Tchelomeï est dommageable au programme spatial soviétique.
Il propose que le vaisseau spatial soit partagé par Korolev qui en deviendrait le responsable, Tchelomeï, responsable de la sonde interplanétaire et lui-même qui fournirait le lanceur.
Malheureusement pour lui, son choix de lanceur n’est pas retenu car il nécessite deux lancements et un assemblage en orbite par deux composants, ce qui n’a jamais été testé jusque là (les programmes Mercury et Gemini américains, préludes au grand projet Apollo, y arriveront avec la mise en place du fameux LOR Lunar Orbital Rendez-Vous).
Malgré son fort tempérament, Yanguel s’incline pour la première fois dans sa carrière. Korolev, puis son successeur Michine, feront toutefois appel à son bureau d’études pour développer le moteur utilisé par l’atterrisseur lunaire LK.
Entre 1970 et 1971, trois tests de moteurs LK (atterrisseur lunaire) sont effectués avec succès et en 1971, Mikhail Yanguel rend son dernier souffle à Moscou peu après ces essais.
Korolev contre Glouchko, les rivaux et les héritiers de Constantin Tsiolkovski (le père de l’astronautique Russe)
Ils ne s’entendaient pas sur les différents types d’ergols à employer pour propulser la N-1.
Petit retour en arrière, c’est en 1959 que débute véritablement le projet de construction de la N-1 au sein du bureau d’étude OKB-1 dirigé par Korolev, mais Tchelomei et Glouchko lui feront de l’ombre encore !
Oui, une explication s’impose : nous vous parlons du bureau de recherche NII-88, créé en 1946 par Staline, pour mettre au point des missiles balistiques issus des recherches des ingénieurs allemands lors de la seconde guerre mondiale.
Mais voilà (poil au doigt !), Korolev (jamais en grev !) a la charge du développement des missiles à longue portée dans ce bureau (rappelez-vous la R-7 Semiorka), et à l’issue d’une réorganisation, l’entité dirigée par Korolev devient autonome sous l’appellation OKB-1, tandis que l’institut NII-88 est rebaptisé TsNIIMash.
Allez, on avance, Clémence !
Le combat des chef est là : dans le coin rouge, Sergueï KOROLEV qui considère – comme le prouveront plus tard les américains – que les carburants/comburants (Hydrogène et Oxygène liquide) à la fois plus performants et non-toxiques vont s’avérer nécessaires et indispensables pour une mission habitée de cette envergure.
Dans le coin…………. rouge aussi, mais face à Sergueï, voici Valentin GLOUCHKO, considéré comme le plus grand responsable, presque unique, des moteurs fusées soviétiques. Lui opte pour les ergols hypergoliques et toxiques.
Hypergolique et la catastrophe de Nedelin
On qualifie d’hypergoligue un assemblage constitué de couples de composés chimiques qui, lorsqu’ils se rencontrent, entrent en combustion immédiate.
Pour Korolev – et la catastrophe de Nedelin prouvera qu’il avait raison – les ergols hypergoliques et toxiques de Glouchko vont montrer que leurs manipulations sont dangereuses. Les points positifs des ergols de Glouchko résident dans le fait qu’ils peuvent être stockés dans un temps plus prolongé dans les réservoirs des missiles. Mais ils sont beaucoup moins performants que les ergols cryogéniques de Korolev.
Un composé détonnant d’UDMH (pour diméthylhydrazine asymétrique) et d’acide nitrique (extrêmement corrosif, produisant un gaz toxique lors de la combustion), dans les réservoirs d’une fusée R-16 de Mikhail Yanguel, provoquera la mort dans un premier temps de 74 personnes. D’autres seront blessées presque mortellement et au final (d’autres sources parlent de 130 morts) 92 personnes (dont le maréchal des forces stratégiques de l’union soviétique Nitro..fan… Euh non, désolé, Mitrofan Nedelin – dont le nom sera attribué à cette catastrophe) rendront l’âme dans cette gigantesque explosion longtemps gardée secrète par les responsables militaires et politiques. Yanguel, désirant fumer une clope dans un bunker, fut sauvé du drame en s’écartant de l’aire de lancement où fumer était interdit ; premier paquet de clopes de l’histoire avec mentionné dessus « FUMER PEUT SAUVER DES VIES » (c’est de l’humour, vous l’aurez compris) !
Tout cet empressement, pourquoi ? Parce qu’un certain Yanguel et un certain Nedelin désiraient que le lancement se produise avant la date du 7 novembre 1960 (43ème anniversaire de la révolution d’octobre 1917).
Membranes du premier étage rompues, procédures de remplissage non respectées. Pour couronner le tout, le carburant extrêmement corrosif dont le stockage à moyen terme avait entraîné des dégâts irréversibles.
Nous sommes donc le 23 Octobre 1960 et dans cet état, il faut absolument procéder au lancement le lendemain !!! Nous voici le 24, et au cours des préparatifs de pré-lancement, un système de contrôle se dérégla. Par ailleurs, ce système est vital pour le bon fonctionnement de la fusée puisqu’il contrôlait l’allumage, l’alimentation et l’orientation des moteurs du second étage.
Un ingénieur s’attelle à régler cette défaillance, mais il provoque accidentellement l’allumage du second étage qui entraîne l’explosion des réservoirs du premier étage.
Résultat, une boule de feu de 120 mètres de diamètre s’élève sur l’aire de lancement n°41 du cosmodrome de baïkonour avec le nombre de morts inscrit sur les lignes au-dessus !
Un secret d’état à suivre qui ne sera levé qu’en… 1990.
Korolev opte pour un moteur à combustion étagée cryogénique, composé d’O2 et d’H2, beaucoup plus contraignant au remplissage des réservoirs, au stockage car ils sont à l’état liquide et très fortement refroidis, mais très performants.
Malheureusement, les 5 étages de la fusée seront alimentés en kérosène RP-1 et Oxygène liquide.
Korolev ne se sentant pas suivi par Glouchko, et lui reprochant aussi d’être à l’origine de son entrée au Goulag, ne permet pas une bonne collaboration entre eux !
Décollages
Bref, nous sommes le 21 février 1969 et c’est le premier tir sur le cosmodrome de Baïkonour. La première N-1 embarquant une maquette de module lunaire décolle, explose et retombe au sol (Apollo 9 décollera le 3 mars 1969).
Rebelote le 3 juillet 1969 pour le second tir ! Trop de retard, Korolev a pu véritablement s’adonner à la conception de sa N-1 à partir de 1964 (bizarrement quand Kroutchev passe le pouvoir à Brejnev !), ce qui, par rapport au feu vert donné par Kennedy à la NASA en 1961, fait perdre 3 ans, tout en sachant qu’avec les cadences demandées, en 3 ans, un énorme travail est effectué. Elle emporte un vaisseau spatial Zond et une tour de sauvetage réelle. La fusée s’élève en dépassant la haut de la tour de lancement, un éclair de lumière et des débris tombent du premier étage, elle s’incline à un angle de 45° et retombe sur son support. 2300 tonnes d’ergols déclenchent une explosion considérable et une onde de choc brise les vitres du complexe de contrôle à proximité. Des débris voleront jusqu’à 10 km du centre de l’explosion !(Apollo 11 décollera le 16 juillet 1969)
Troisième tir : nous sommes le 26 juin 1971, une maquette du train lunaire L3 fait partie du cortège spatial. S’ensuit un décollage, viennent rapidement des tourbillons de turbulence et des contre-courants inattendus à la base du premier étage. Ceci génère un roulis (mouvement de rotation autour de l’axe longitudinal de la fusée, mais pas constant dans un sens : un coup dans un sens, un coup dans le sens opposé) qui dépassera vite la capacité du système de contrôle de la N-1 à le compenser. Moins d’une minute après le lancement, les étages supérieurs de la fusée s’écrasent à 7 km du complexe et, sur leurs lancées, les 1er et 2nd étages s’écraseront à 15 km de l’aire de décollage, et formeront un cratère de 15 mètres de profondeur. (Du côté de la bannière étoilée, 6 hommes ont déjà marché sur la lune à ce moment-là.)
Un module vaisseau spatial factice L3 devant survoler la lune est embarqué pour ce quatrième tir de cette fameuse N-1 ; nous sommes le 23 novembre 1972 ! Décollage OK, T+107 secondes, le premier étage cesse brutalement de fonctionner à 40 km d’altitude, fin de la télémétrie à T+110 secondes. Les étages supérieurs s’écrasent dans la steppe. (14 jours après, les derniers hommes qui marcheront sur la lune décollent de Cap Kennedy.)
l’URSS est battue, l’Amérique triomphe : 4 tentatives, 4 échecs pour cette N-1. Korolev est décédé depuis 1966 à l’âge de 59 ans, Michine lui succède et Glouchko succède à Michine. D’autres améliorations apportées à cette cette N-1 seront adaptées, mais cela ne donnera pas grand chose.
Les caractéristiques de la fusée N-1 (on a la même dans les locaux de l’ASAT, mais à une autre échelle !):
- 105,3 mètres
- 17 mètres de diamètre à la base
- Masse au décollage 2735 tonnes
Didier
PS : Ces lignes ont été rédigées avec, dans les pensées de Didier, Jacques LEMETTEZ récemment disparu, avec qui nous discutions à l’occasion d’anecdotes relatives à ces pionniers de la conquête spatiale passée